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14/01/2016 | FRANCE | N°2015-515

France | France, Conseil constitutionnel, 14 janvier 2016, 2015-515


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 octobre 2015 par le Conseil d'État (décision n° 392257 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. Marc François-Xavier M.-M., par Me Eve Obadia, avocat au barreau de Paris, et Me Louis-Marie Bourgeois, avocat au barreau de Paris, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « et appliqué lors de cette cession » figurant au troisième alinéa du 1 de l'article 150-0 D du code général des impô

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Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 octobre 2015 par le Conseil d'État (décision n° 392257 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. Marc François-Xavier M.-M., par Me Eve Obadia, avocat au barreau de Paris, et Me Louis-Marie Bourgeois, avocat au barreau de Paris, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « et appliqué lors de cette cession » figurant au troisième alinéa du 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-515 QPC.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
Vu la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Mes Obadia et Bourgeois, enregistrées les 28 octobre et 19 novembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Frédéric D. et autres par Mes Obadia et Bourgeois, enregistrées le 4 novembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Éric S., par Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon, enregistrées les 23 octobre et 19 novembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 5 et 27 novembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Mes Obadia et Bourgeois pour le requérant ainsi que pour M. D. et autres, Me Mossé pour M. S. et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 7 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'en vertu du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, dans ses rédactions applicables aux revenus perçus jusqu'au 31 décembre 2012, les plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de valeurs mobilières et de droits sociaux ainsi que les compléments de prix y afférents, visés respectivement aux 1 et 2 du paragraphe I de l'article 150-0 A du même code, étaient soumis à l'impôt sur le revenu à un taux forfaitaire ;
2. Considérant qu'en vertu du 2 de l'article 200 A, dans sa rédaction applicable aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2013 et résultant de la loi du 29 décembre 2012 susvisée, lesdits plus-values et compléments de prix sont pris en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu ; que le deuxième alinéa du 1 de l'article 150-0 D prévoit cependant que ces plus-values sont réduites d'un abattement pour durée de détention déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du même article ;
3. Considérant que le troisième alinéa de ce même 1, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2013 susvisée, prévoit que le complément de prix est lui-même réduit de l'abattement prévu au deuxième alinéa du 1 de cet article « et appliqué lors de cette cession » ;
4. Considérant que le requérant et les parties intervenantes soutiennent qu'en excluant le complément de prix du bénéfice de l'abattement pour durée de détention lorsque cet abattement n'a pas été appliqué à la plus-value réalisée lors de la cession, les dispositions contestées portent atteinte à des situations légalement acquises et remettent en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de telles situations ; que, selon eux, cette exclusion porte également atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle ; qu'elles méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
6. Considérant que les dispositions contestées, qui déterminent les conditions auxquelles est subordonnée l'application d'une règle d'assiette de l'impôt sur le revenu au complément de prix reçu par le cédant des titres d'une société, n'ont en elles-mêmes ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle ou à la liberté d'entreprendre ; que, par suite, les grief tirés de la méconnaissance de la liberté contractuelle et de la liberté d'entreprendre doivent être écartés ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
8. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ;
9. Considérant, que, d'une part, les dispositions contestées modifient, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, des règles d'assiette applicables à des faits générateurs postérieurs à leur entrée en vigueur ; que, d'autre part, la soumission à un taux forfaitaire, au titre de l'impôt sur le revenu, de la plus-value réalisée lors de la cession des titres ne peut être regardée comme ayant fait naître l'attente légitime que le complément de prix y afférent soit soumis aux mêmes règles d'imposition ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
10. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
11. Considérant qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer qu'en toute hypothèse la durée de détention ouvrant droit à abattement soit appréciée à la date de la cession des titres ; qu'ainsi, en excluant du bénéfice de l'abattement pour durée de détention les compléments de prix lorsque, à la date de la cession des titres, la condition de durée de détention n'était pas satisfaite, le législateur a retenu un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi ;
12. Considérant, toutefois, que les dispositions contestées ne sauraient, sans créer de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, avoir pour effet de faire obstacle à l'application de l'abattement pour durée de détention lorsque, à la date de la cession des titres, la condition de durée de détention était satisfaite, soit que cette cession a été réalisée avant le 1er janvier 2013, soit qu'elle n'a pas dégagé de plus-value ; que, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté ; qu'il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ;
13. Considérant que, sous la réserve énoncée au considérant 12, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 12, les mots « et appliqué lors de cette cession » figurant au troisième alinéa du 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts sont conformes à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 janvier 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.


Synthèse
Numéro de décision : 2015-515
Date de la décision : 14/01/2016
M. Marc François-Xavier M.-M. [Exclusion de certains compléments de prix du bénéfice de l'abattement pour durée de détention en matière de plus-value mobilière]
Sens de l'arrêt : Conformité - réserve
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 14 janvier 2016 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 14 janvier 2016 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2015-515 QPC du 14 janvier 2016
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2016:2015.515.QPC
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